André Torre
Développement et gouvernance des territoires
La problématique du développement territorial concerne avant tout des aires géographiques de taille restreinte, rejoignant ce que l’on a longtemps appelé le développement local. La notion de territoire y recouvre une réalité biophysique (un bassin versant) ou institutionnelle (les territoires de la biodiversité comme les Zones Natura 2000, ou de l’eau comme les SAGE), mais c’est surtout un existant et un construit social, résultant des actions des acteurs.
Sa finalité est la même que celle de tout type de développement : améliorer le bien-être et éventuellement la richesse des populations , avec une compréhension particulière pour les territoires aux fonctions industrielles réduites, par choix ou manque de ressources. Son analyse impose toutefois trois lignes de césure par rapport au développement régional:
  • 1)il s’étend à d’autres parties prenantes des territoires : collectivités locales ou territoriales, services déconcentrés de l’Etat, organismes consulaires, dispositifs locaux de gouvernance (PNR, Pays…) et monde associatif.
  • 2)les problématiques de rareté des sols et d’occupation de l’espace se trouvent au cœur des processus et projets de développement.
  • 3)les processus de coopération et de construction sociale sont à intégrer à l’analyse des dynamiques de développement.
Dynamiques et temps des projets
A l’origine des projets de développement se trouve l’innovation, mobilisant les ressources locales ou importées, absorbées et refaçonnées localement. Seules les nouveautés adoptées par la société, la sphère économique privée et les pouvoirs publics peuvent être considérées comme de réelles innovations, en mesure de contribuer au développement territorial. Alors que le marché caractérise et détermine l’adoption de l’innovation technologique, c’est la réponse de la société qui contribue à l’acceptation de l’innovation sociale et institutionnelle, parfois au prix de modifications importantes du modèle initial.
L’innovation endogène repose sur la mobilisation et la création de ressources locales, la mise en œuvre de collaborations et de coopérations productrices de biens, de services ou d’innovations organisationnelles, sociales et institutionnelles. Les innovations territoriales sont à la base d’un fonctionnement axé sur les territoires, où l’on doit d’abord compter sur ses propres ressources, les consommer et les faire fructifier localement. Elles sous-tendent et maintiennent le tissu social, matrice de la résilience des territoires, leur permettant de ne pas s’effondrer et de continuer à fonctionner sans imploser.
Conflits et résistance à l’innovation
Si chaque nouveauté est susceptible de devenir une innovation et donc de contribuer au développement d’un territoire, toutes ne sont pas bien reçues ou appropriées. Elles peuvent provoquer des résistances, voire des conflits, et se voir rejetées par tout ou partie des acteurs locaux. Ce constat, valide pour les innovations techniques, l’est encore davantage pour les innovations sociales et institutionnelles, souvent sujettes à des oppositions irréductibles.
Les projets passent au crible de la gouvernance des territoires, i.e. la manière dont les parties prenantes d’une société s’emparent des nouveautés, les examinent et les confrontent au processus d’appropriation sociale et institutionnelle. Pouvoirs publics locaux ou décentralisés, entreprises privées, monde associatif, particuliers… proposent des innovations, examinées et testées par les autres acteurs par processus d’essais et d’erreurs. Un projet innovant perçu comme opposé aux intérêts ou contraire au bien-être d’une partie de la population va provoquer le blocage de personnes ou d’associations considérant qu’il pose problème en matière de dégradation des paysages, d’atteintes à l’environnement ou de préservation de la biodiversité. Elles tenteront de s’opposer à sa mise en œuvre, par des moyens légaux (recours au tribunal administratif en l’occurrence) ou relevant de la sphère sociale (manifestations, interventions médiatiques…).
L’innovation est adoptée, rejetée, ou modifiée par la société à l’issue des conflits. Ils constituent ainsi la mise à l’épreuve des innovations, le tamis au regard duquel sont sélectionnées les « bonnes » inventions, acceptées par la société. Cette prise de parole des populations, voice au sens de Hirschman, repose sur une vérification au jour le jour des initiatives prises par les pouvoirs publics et les acteurs privés, en dehors des processus électifs. Elle révèle les pressions au conformisme et la tentation de rester sur les chemins déjà connus, comme la légitime opposition de populations qui peuvent se sentir exclues des processus de décision ou confrontées à des propositions ne correspondant pas au type de développement souhaité.
Le processus de gouvernance territoriale
Le processus de gouvernance territoriale est le fruit d’une interaction permanente entre des forces poussant à la conflictualité et d’autres incitant à la coopération ; tensions et négociations prennent des formes multiples (controverses, disputes, discussions, groupes de réflexion...). Cette alchimie complexe est à la base des évolutions du système et qualifie les formes prises par le processus au cours du temps. Il présente toujours deux faces complémentaires, une de nature conflictuelle et une de nature coopérative, dont l’importance réciproque varie selon les périodes et les situations (Torre et al., 2006).
  • Durant les phases de conflits s’échangent les opinions, se confrontent les positions sur les directions futures de développement et se reconfigurent les relations de pouvoirs entre groupes économiques et sociaux ;
  • Durant les phases de négociations et de coopérations se mettent en place les arrangements fondateurs des dynamiques futures, les accords pour définir les chemins de développement et leurs caractéristiques principales (Torre. et Beuret., 2012).
L’ensemble de la démarche doit permettre de réaliser les projets, de répondre aux attentes des populations locales et de tracer les chemins futurs de développement. Il n’en demeure pas moins que les choix ainsi effectués, objets de compromis nombreux, peuvent impliquer une forte asymétrie de pouvoir des parties prenantes et exclure certaines catégories d’acteurs des décisions finales.
Les chemins du développement
Les nouveaux processus de développement territorial sont affaire d’innovations sociales, institutionnelles et organisationnelles, en rupture avec les comportements routiniers qui reproduisent les pratiques antérieures. Parfois âprement négociées par les acteurs locaux, les innovations initient des changements de trajectoires productives, sociales ou institutionnelles, qu’elles soient consensuelles ou issues d’oppositions conflictuelles. Le développement territorial relève ainsi avant tout d’une mutation des mentalités, d’un changement des structures économiques et sociales et de la mise en œuvre de projets nouveaux. Fruit de compromis souvent laborieux, parfois longs et rarement égalitaires, il dépend de la qualité du processus de gouvernance territoriale, qui permet de sélectionner les innovations – consensuelles ou conflictuelles- et de mettre en place les projets pour le futur (Torre, 2014 ; Torre et Wallet, 2013 et 2012).
André Torre
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